La vivacité qui avait animé les aventuriers lors de l’arrivée de Tsanas et de la plongée de Shaylena avait eu vite fait de disparaître. Ifreann avait cru pouvoir apprendre quelque chose avec ce qui semblait être le petit secret du disciple de Pandawa, mais rien. Il n’avait fait que raconter ce qu’il avait vécu pour en arriver jusqu’ici ; autant dire que ça ne les avançait pas trop, voire pas du tout. Le calme plat était vite revenu à bord, à l’image de la mer. Sur les quelques jours qui s’étaient écoulés depuis, il n’y avait eu qu’une petite attaque ridicule à laquelle la Mutsou n’eut même pas à participer. Dommage. En revanche, une nouvelle était parvenue jusqu’à ses oreilles et ce n’était, à ses yeux, pas une des moindres : ils allaient mettre pied sur terre le temps de réparer les dommages qu’avait subi le Requin Jaune. Retrouver le sol, il n’y avait rien d’autre qui pouvait lui faire plaisir en ce moment. De faisable, en tout cas.

Ainsi, lorsqu’on annonça l’île Kanigrou, Ifreann se précipita rapidement sur le pont pour la voir : effectivement, il y avait un petit morceau de terre au loin. Un sourire traça sur son visage tandis que les matelots commençaient doucement à s’activer derrière. Grâce à cette île, la Mutsou pourrait enfin retrouver son équilibre en marchant. Grâce à cette île, elle pourrait se défouler. Grâce à cette île, elle pourrait courir un peu, même. Grâce à cette île, elle aurait la sensation d’être enfin rentrée chez elle, elle qui commençait à regretter sa décision. Grâce à cette île, elle pourrait enfin s’éclaircir les idées. Grâce à cette île... Peut-être qu’ils auraient l’occasion de jeter un œil autour du Requin Jaune pour y trouver des indices ? Eh bien oui, puisque les informations n’étaient pas sur le bateau, elles étaient peut-être en dessous ?... Grâce à cette île, ils trouveraient peut-être la source de tous ces problèmes. Mais c'était tant de peut-être, et trop peu de sûrement...

Ce fut à peine si Ifreann bouscula tout le monde pour sortir en première de la chaloupe. Le voyage de quelques minutes sur ce petit rafiot avait été encore plus éprouvant que les premières minutes passées sur le Requin Jaune et une fois de plus, elle relâcha le peu de nourriture qu’elle avait réussi à avaler durant les derniers jours, marquant ainsi son territoire sur cette île. Pour sûr que le sable doux s’en souviendrait...

Le malaise passé, la Mutsou fut immédiatement saisie d’une joie indescriptible : celle d’embrasser enfin le sol. Elle se mit soudain à courir tout le long de la plage en hurlant joyeusement à en perdre la voix, fit plusieurs roues avant de terminer allongée dans le sable – propre – en souriant bêtement. Il n’y avait pas à dire, cela faisait du bien de retrouver la terre ferme... Ce ne fut qu’en voyant Narhuit’, Io’ et Tsanas passer non-loin d’elle qu’elle se redressa tout à coup, balançant ses oreilles d’un côté puis d’un autre. Parfois, ses instincts étaient incontrôlables... Mais elle savait malgré tout quand arrêter !

- Euh... C’est quoi votre plan du coup ? lança-t-elle après avoir trottiné vers eux. J’suis à vot’ service !

Elle se sentait pousser des ailes. Sur terre, Ifreann retrouvait cette impression d’être imbattable, bien qu’elle sache qu’elle ne l’était pas vraiment. Toutefois, elle était désormais en pleine possession de ses pouvoirs et de ses capacités. Autant dire que cela aiderait à faire avancer les choses s’il y avait vraiment quelque chose sur cette île, vers le Nord...

A la vue de ces fruits, le panda couru de plus belle vers un arbre, monta avec une agilité déconcertante pour son gabarit et le secoua de toutes ses forces pour en faire tomber son trésor. Il redescendit avec un grand sourire et commença à déguster goulument l'une de ces denrées avant d'en proposer à ses compagnons qui arrivèrent lentement vers lui.

Ifreann avait pesté tout le long du voyage, insultant tantôt la végétation, tantôt la chaleur. Aujourd’hui, elle s’était vêtue d’un débardeur bleu – bien heureusement – et... D’un sarouel. Pas forcément pratique pour marcher à travers l’impitoyable jungle et ses innombrables obstacles.

Une fois de plus, la Mutsou écrasa rageusement un insecte qui passait par là, à portée de ses pieds. La bête n’avait pas mérité une telle fin mais cela calmait la jeune femme peinturlurée qui prenait plaisir à se venger de sa situation sur quelque chose. Elle laissa échapper un grognement guttural en s’essuyant le front du revers de la main, ses mèches noires collées à son front en sueur.

- P’tain, pourquoi on a rien emm’né...

C’était vrai, ça. Quelque part, leur déconfiture était anticipée puisqu’ils n’avaient pas été assez prévoyants pour la suite. Ils s’étaient uniquement focalisés sur le message et n’avaient aucunement songé que le voyage aurait pu s’avérer si long. Ils ne savaient même pas où ils étaient et pourquoi ils marchaient jusque là. Peut-être que c’était un piège. Peut-être qu’ils allaient mourir ici. Ifreann imaginait déjà le visage du capitaine éclairé d’un grand sourire victorieux, repartant à bord de son navire avec la récompense qu’il leur avait promis à tous.

La Mutsou finit par se laisser tomber à même le sol. Elle s’assit en position tailleur et inspira un grand coup, observant tour à tour ses camarades. Qu’en pensaient-ils, eux ? Arrivaient-ils seulement à penser avec la chaleur étouffante qu’il faisait ? Ifreann avala sa salive et se fit la réflexion qu’elle avait fichtrement soif. Elle rêvait d’une bonne source d’eau fraîche mais doutait qu’il y en ait une dans les environs ; et s’il y en avait eu une autrefois, elle s’était sûrement asséchée. Soudain, une idée lui vint. Au long de l’interminable marche, elle avait aperçu des fruits exotiques encore pendus aux arbres qui les produisaient. Si certains étaient d’un aspect douteux, d’autres semblaient, bien au contraire, délicieux. Elle se releva à l’aide de ses mains, les frotta l’une contre l’autre pour se débarrasser de ce qui collait à ses paumes moites et s’aventura près d’un arbre. Elle finit par se retourner vers ses compères et désigna du pouce, derrière elle, les fruits perchés au dessus de leurs têtes.

- Vous pensez qu’c’est mangeable ça ?

Les gouttes perlaient sur son front, sous ses mèches collées par la chaleur, et ses jambes, après la course, semblaient refuser de la porter. Malgré tout, Ifreann continuait à faire face à la situation ; avait-elle le choix de toute façon ? Arrivée près du mur de calcaire, elle se laissa lourdement tomber sur ses fesses, resserrant ses jambes contre elle en soufflant. L’escalade de Tsanas lui laisserait le temps de récupérer un peu... Du moins, elle l’espérait. Ainsi et tout comme la septuagénaire, elle le regarda débuter son ascension jusqu’à ce que le soleil devienne trop aveuglant pour elle. Soudain, une ombre grandissante sur le sol la fit instinctivement se jeter en arrière. Une carcasse d’oiseau prit alors sa place. La Mutsou laissa échapper un grognement en levant les yeux vers Tsanas ; s’il n’était pas dans la même situation qu’elles deux, elle aurait juré qu’il voulait la tuer. Mais on ne se débarrassait pas si facilement d’une créature comme elle !

Bientôt, la fatigue, la soif, la faim et la colère se regroupèrent en un seul et même ressenti : la colère... Notamment lorsque le poilu leur fournit une pseudo-liste de courses. Elle eut envie de lui faire une remarque bien crue, mais trop de choses pesaient sur ses épaules et elle opta pour simplement bougonner. A l’image de Narhuitlalashishtom, If’ se redressa mais avec beaucoup plus d’aisance. Elle s’apprêtait à se déplacer lorsqu’elle vit chanceler la petite vieille à ses côtés.

- F…lou. Tout est… flou.
- Oula, tout doux mamie !

Trop loin d’elle, la Mutsou ne put que la regarder tomber au sol. Une légère panique s’empara de la jeune femme aux yeux rouges ; ce n’était pas le moment pour que quelqu’un quitte le navire... Dans tous les sens du terme.

- Je… qu’un… aidez…
- Restez calme, bougez pas ‘k ? J’arrive !

Mais trop tard : la disciple de l’Avaricieux était déjà tombée dans les vapes. Allait-elle s’en sortir ? Il y avait bien une façon de la sauver... Oui, mais il fallait qu’elle trouve de quoi la nourrir et la rafraîchir ! Ifreann leva vivement la tête.

- TSANANAS !! Y’a un problème là ! Narhuit’ a perdu conscience ! Je, je... (Elle regarda tout autour d’elle et son regard tomba sur la jungle, dont d'étranges bruits émanaient) Surveille la, j’vais chercher l’nécessaire !

Les feuilles et le bois attendraient : sa priorité, c’était trouver un peu d’eau. La Mutsou détala alors au beau milieu de la flore sauvage. Elle ignorait si elle parviendrait à tomber sur une source potable avant de tomber dans les pommes à son tour, mais il fallait au moins qu’elle essaie.

La jeune femme trottina pendant plusieurs longues minutes. Le temps lui échappait et sa raison avec. Plusieurs fois, ses jambes se dérobèrent sous elle, la contraignant à courir à quatre pattes sur une petite durée. Elle aurait voulu se transformer pour aller plus vite, mais les forces lui manquaient. Alors qu’elle se déplaçait maladroitement, s’appuyant de temps à autres sur le tronc d'un arbre, la Mutsou sentit son pied droit s’enfoncer dans quelque chose de liquide : écarquillant les yeux, elle crut un instant qu’il s’agissait d’eau, mais ce n’était qu’en fin de compte un peu de boue. Au prix d’un violent effort, elle parvint à en sortir mais sa marche en fut davantage ralentie. Elle s’apprêtait à abandonner toute recherche lorsqu’elle remarqua quelque chose entre plusieurs arbres ; pas quelque chose, des petites cabanes. Et en son centre... Un grand bol, semblable à une fontaine, d’eau ! Prise de nouveau par l’espoir, Ifreann détala. Trébucha. Sentit son centre de gravité changer. En un instant, elle se retrouva enserrée dans un filet épais, à plusieurs mètres de hauteur, pendue à un arbre. L’eau lui semblait maintenant si loin... Par réflexe de survie, elle se mit à grignoter les cordes. Cependant, elle cessa tout mouvement lorsque son regard tomba sur un corps, un peu plus loin : un corps empaillé.

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HRP: