Tsanas scruta l'horizon : le terrain était bien plus accueillant pour une marche, par contre, pas d'arbre pour l'ombre. Heureusement, le soleil allait bientôt tomber. Seulement, un autre problème allait tomber avec lui : il fallait dormir. Par où se diriger ? Ce petit point rouge au loin qui semblait être une sorte de drapeau l'intriguait grandement... Et si c'était ce qu'il cherchait ? Et si c'était un trésor ? C'était l'occasion rêvée de continuer seul... Il suffirait d'emmener la corde avec lui et l'affaire était réglée, même plus de quoi se pendre pour ses deux congénères. Moins de nourriture et d'eau à récolter : l'affaire en or. Mais si c'était un danger ? Il valait mieux pouvoir pousser une petite vieille ou laisser un monstre retourner deux ou trois torgnoles à la racaille... Finalement il vaut mieux vivre un peu moins riche mais vivre quand même : elles resteront avec lui. Le panda retourna glisser sa tête vers ses deux "amies" pour leur crier ce qu'il voyait avant de donner quelques directives :

"Nous n'avons pas le choix, il va falloir vous monter. Je pense que nous pourrons cuire les ailes et les cuisses de ce bestiau en haut, arrachez lui et prenez les avec vous. Mettez également un tissu dans votre gourde Narhuitmachin et cherchez de l'eau autour de vous, il doit bien y en avoir un peu. Il nous faudra également un peu de petit bois, ici il n'y a plus grand chose. Si vous trouvez de grandes feuilles pour nous couvrir cette nuit et du soleil demain, ça ne sera pas de refus également. Une fois que vous aurez tout ça, criez-moi dessus, je ne serais pas loin. Je vous ferai monter."

Puis sous ces mots doux, il laissa tomber la corde après l'avoir accroché à un bosquet assez coriace et mis un rocher assez imposant sur la corde.

HRP:

Il était vrai que le soleil se couchait tôt sous ces latitudes et il ne tarderait pas à faire nuit, ce n’était qu’une question d’heures. Deux, tout au plus. Le Requin Jaune attendrait-il les explorateurs et, si oui, jusqu'à quand ?

« Mettez également un tissu dans votre gourde Narhuitmachin… »

Narhuitmachin ?
La septuagénaire tiqua, la déférence du Pandawa avait vite disparu alors que celui-ci prenait de l’altitude. Ce qu’il ne fallait pas entendre, tout de même ! Narhuitmachin…

« …cherchez de l'eau autour de vous, il doit bien y en avoir un peu. »

De l’eau ? Oui, bien sûr, de l’eau.
Forçant sur ses cuisses, s’aidant de ses mains, Narhuitlalashishtom entreprit de se relever. Ils auraient dû commencer par cela, plutôt que de gravir cette falaise. La soif qui les taraudait devait être étanchée au plus vite, sans parler du fait de faire autant de réserves que possible ! C’est qu’il faisait chaud sur cette île. Si chaud, tellement chaud…

La petite vieille manqua d’équilibre et trébucha alors qu’elle tentait de sangler sa besace sur son dos voûté par l’effort.
Arrêt. Frissons.
La sueur perlait sur son front plissé, parcheminé par l’âge et crevassé par les années, jusqu’à venir dégoutter le long de ses joues moites.
Un pas. Puis un autre. Nouvel arrêt.

« Ce… Oulah. »

La vieillarde tanguait sans pour autant se prendre pour un navire. Tournant la tête de droite à gauche, elle écarquillait les yeux.

« F…lou. Tout est… flou. »

Et lumineux.
Des myriades d’étoiles et de lueurs éphémères dansaient devant ses pupilles. Un bourdonnement assourdissant venait de remplacer la musique de la jungle, enserrant les vétustes tympans dans une poigne de fer immatérielle.

« Que… vous dites ? »

Chancelante, chandelle dans le vent, Narhuitlalashishtom tomba à genoux, cherchant un point d’appui. Le sol semblait se dérober sous ses pieds, alors qu’il n’en était rien dans les faits. Aussi se mit-elle rapidement à quatre pattes avant de carrément s’allonger de tout son petit long par terre. Il lui fallait de l'air, de la fraîcheur !

Narhuitlalashishtom luttait. Contre la chaleur, contre la soif… et contre les années.

Il ne faisait pas bon, à soixante-dix ans passés, de crapahuter toute une après-midi sans boire convenablement par une telle chaleur. Son organisme tenait à le lui faire comprendre.

« Je… qu’un… aidez… »

Le manque d’eau et le soleil eurent raison du petit bout de bonne femme. Laquelle finit par s’évanouir, au pied de cette falaise qu’il lui faudrait pourtant gravir.
________________________________

HRP:

Après avoir parcouru toute cette distance, et sous la canopée, il était impossible qu'on entende Ifreann crier depuis la paroi de calcaire où Narhuitlalashishtom se plaisait à gésir.

Malgré l'angoisse que perçut Ifreann en découvrant ce corps sans vie, et méconnaissable par toutes les entailles dont il était parcouru, elle parvint à ronger un bout de corde, puis un autre, puis encore un autre, avant d'avoir percé un trou assez grand dans ce filet pour pouvoir s'en extirper. Une fois libérée, son premier réflexe fut d'aller s'abreuver dans cette sorte de fontaine, qui n'en était pas vraiment une : il s'agissait simplement d'une bassine blanche dans laquelle coulait un mince filet d'eau provenant d'une espèce d'aqueduc fait avec des bambous qui remontait plus loin dans la jungle.

Après avoir ingurgité des quantités non négligeables d'eau, qui, a priori, était potable, la Mutsou releva sa bouille pour se rendre compte que derrière elle se trouvait un petit tas de vêtements de bonne facture. À y regarder de plus près, il s'agissait de l'uniforme d'un quartier-maître.

Le corps demeurant aussi une préoccupation majeure, Ifreann décida, malgré un certain dégoût cadavérique propre à chacun — sauf les croque-morts —, d'aller inspecter celui-ci de plus près. Elle remarqua que le malheureux, ou la malheureuse, avait été écorché un peu partout, et qu'on avait effectivement fourré de la paille à certains endroits, comme la bouche, plusieurs cavités dans l'abdomen, à l'endroit présumé du sexe, et également entre les orteils. Le corps n'était pas ce qu'on aurait pu appeler de « première fraîcheur » sans pour autant être putrescent, il était sec, et les asticots organisaient sur sa dépouille de joyeuses ripailles.

Les deux petites cabanes placées côte à côte étaient vides. Elles ne comprenaient rien de significatif, hormis une natte prévue pour y dormir et quelques ustensiles de cuisine. Avant que la Mutsou n'eut le temps de réfléchir à quoi que ce soit, elle entendit revenir de la jungle les bruits d'un pas assuré et serein. Mieux, elle perçut même le son de quelqu'un en train de siffler. Qu'elle soit restée dans la cabane ou non, ce revenant arrivait de face et se rendit compte de sa présence dès qu'elle bougea un pied, et fit par la même occasion craquer une planche de bois.

Le disciple Écaflip, entièrement nu et ne cachant pas sa virilité naturelle, qu'Ifreann reconnut comme étant le quartier-maître Régulus, s'immobilisa net, et s'arrêta de siffler. La Mutsou était en face de lui. Qu'allait-elle faire ?

Le poilu continua à regarder autour de lui, voir ce qu'il pouvait prendre et être utile à leur survie. Peut-être qu'une source d'eau se trouvait dans les alentours, ou de l'eau de pluie stockée dans de grandes feuilles... Ces même grandes feuilles qui pourraient servir de couvertures. Mais il fut stoppé net dans sa réflexion :

"TSANANAS !! Y’a un problème là ! Narhuit’ a perdu conscience ! Je, je... Surveille la, j’vais chercher l’nécessaire !"


"Qu'est-ce qu'elle me chante là ?" chuchota-t-il en allant passer sa tête au-delà de la falaise.


C'est alors qu'il vit la vieille allongée, elle avait effectivement l'air inconsciente. Et la Mutsou avait disparu. Quelle galère ! Il descendu par la corde qu'il avait lui-même installé un peu plus tôt pour venir au secours de la petite flétrie. 

Il commença tout d'abord par vérifier son pouls : c'est bon elle respire encore. Il faut maintenant trouver de l'eau pour la rafraîchir. Il faudra en rendre une partie potable. Tout en s'activant à sa tâche, à scruter chaque recoin pour trouver un peu d'eau, il commença un monologue :


"J'avais pourtant dit toutes les instructions, elle est partie où l'autre poilue ? J'avais dit de trouver de l'eau, pas de nous enfoncer la tête sous l'eau. J'avais dit de trouver du bois, pas de s'enfuir dans ces derniers. J'avais pourtant fait le plus gros effort et c'est elle qui s’évanouit. J'avais fait tout le travail et voilà qu'on m'en rajoute encore. J'avais... J'avais... J'avais... Mais c'est maintenant que je suis mal. Je trouve pas d'eau..."

Il regarda autour de lui pour trouver un substitut à l'eau. Par chance, il trouva des noix de Kokoko. Il prit une ou deux feuilles, construit un récipient pour accueillir ce qu'il pourrait en tirer. Il frappa avec le silex dans les noix. De temps en temps, celles-ci s’échappèrent sous ses coups puissants. Mais il arriva à faire des trous pour en faire couler le jus. Il en versa un peu dans ses mains pour rafraichir le front de la ridée. Il la mis en position assise pour lui en faire boire un petit peu avant de la coucher sur le côté. Il fallait la laisser se reposer. Mais avant de faire ça... Il ouvra son énorme main et mis une baffe assez forte pour la réveiller mais pas trop pour ne pas la tuer.



Après l'avoir vu bouger, il se mit à la recherche de la Mutsou en s'enfonçant à son tour dans les bois. La bambousolle lui permettra de revenir par ici. Il avait prit la précaution de laisser à la petite vieille le "bol" de lait de Kokoko après en avoir bu un petit peu. Il avait encore prit 3 noix avec lui ainsi que son silex, pour en donner à la géante une fois qu'il l'aurait trouvée.

HRP:

Narhuitlalashishtom flottait dans l’éther. Menue, déboussolée, passablement décalquée.

Tout orbitait autour d’elle et ce n’était que mélanges colorés et scintillants doublés de longs bourdonnements lancinants.
Des ananas apparaissaient et disparaissaient aléatoirement, dans des roues enflammées, engloutis par des volatiles à la fois énormes et minuscules aux ailes atrophiées et aux becs dentelés.
Et toujours cette sensation de chaleur. Atroce. Prégnante. Etouffante.

Narhuitlalashishtom suait à grosses gouttes. Des gouttes qui grossirent, enflèrent et vinrent rouler dans l’immatériel onirique. Des gouttes qui continuèrent leur folle croissance et vinrent s’agglutiner les unes aux autres, transformant l’imaginaire prison de la vieillarde en un vaste aquarium sans parois.

La tête sous l’eau, Narhuitlalashishtom respirait avec peine. Le liquide était tiède, des relents de lait Kokoko envahissaient les vétustes sinus pour venir s’engouffrer dans la gorge fripée et les poumons éthérés de l’ancienne.

De là à dire que cela n’avait aucun effet notable sur l’organisme de la principale concernée, il y avait plus d'un pas. Pourtant, elle hoqueta à plusieurs reprises. Elle ne se noyait pas, non, mais la sensation d’être prisonnière du bocal brûlant de son esprit était passablement pénible.

Cela étant, Narhuitlalashishtom se sentait un tantinet plus hydratée dans sa bulle. Sans pour autant savoir qu’elle devait cette sensation au Pandawa Tsanas, véritable sauveteur des temps quasi-modernes.

Un sauveteur qui se mua bien vite en bourreau.
Un Pandawa qui adopta bien vite les préceptes d’une religion pourtant éloignée de la sienne, celle du Dieu de la Baston, des Gnons et des Gros C…
Un Pandawa qui semblait avoir eu envie d'endosser avec beaucoup de zèle le rôle de l'archer du groupe, resté à bord du Requin Jaune.

Dans sa grande mansuétude, dans son indescriptible bonté, dans son immarcescible logique, Tsanas -  puisque tel était son nom, Tsanas décida donc qu’après avoir fait descendre la fièvre de la septuagénaire de quelques salvateurs dixièmes de degrés - ce même Tsanas qu’on surnommait le « Poch’Tronc » - il était dans l’ordre des choses de coller une mandale à la vieillarde qui aurait pu être sa grand-mère, eu égard à son âge vénérable.

De l’une de ses mains qui auraient ridiculisé les plus fiers des battoirs, Tsanas – cet imbécile heureux, ce saoulard inepte, cette brute épaisse – asséna une gifle à l’évanouie.

Une seule gifle. Comme ça. « Pour la réveiller », se dit-il.

A une septuagénaire. Terrassée par la chaleur.
Une gifle.

Fallait-il qu’il fut idiot… ou tout simplement sadique !
Des deux choix, si elle avait été en état de peser le pour et le contre, Narhuitlalashishtom aurait sans doute préféré opter pour le second. Le premier trahissant un manque certain de réflexion dont elle espérait qu’il fût inexistant sur cette planète.
Pour le bien collectif.

Hélas, la vieillarde n’eut pas le loisir de réfléchir à la question, étant donné qu’elle venait de se faire proprement avoiner le museau par un « sauveteur » qui aurait terrifié le plus inaccompli des Maîtres Nommeurs du culte d’Eniripsa.
Certes, Narhuitlalashishtom bougea, passant du statut de poupée de chiffon molle et inanimée à celui de corps fragile soumis à une agression extérieure, mais ce n'était là que par réflexe, un simple et pur spasme de douleur.

La bulle éthérée éclata, une déflagration de lumière sourde brûla l’esprit de celle qui risquait fort de devenir un cadavre à ce rythme-là et Narhuitlalashishtom, estomaquée, perdit tout souffle.

Non pas qu’elle ait foncièrement eu besoin de respirer, spirituellement parlant. Mais tout de même, l’agression avait de quoi surprendre et, si elle s’en sortait sans œdème cérébral, l'évanouie aurait plusieurs offrandes à dédier à Enutrof.
Sans oublier les petites divinités de la solidité et de l’endurance, Pierrock et Xa.
__________________________________________

HRP:

Dans ses voyages interstellaires et neuronaux, l'honorable vieillarde perdit toute notion de matérialité. Pourtant, de temps à autre surgissaient quelques bribes de réalité venant s’intercaler entre ses visions fantasmagoriques et ses deux pauvres globes perdus dans les confins de ces rêves brûlants. Dans ces bribes, ces courtes séquences, et ces images plus floues que tout, elle crut voir un homme bien basané, peut-être même peinturluré de quelque façon. Plus que l'image, elle avait parfois la sensation, celle de deux membres qui tenaient son corps inerte et bouillant, deux bras qui venaient l'agripper et la ramener contre ce bonze bronzé dont l'attention se trouvait non pas sur elle, mais devant lui. Oui, il marchait.

À un moment, notre septuagénaire crut bien voir sa fin arriver. Le noir complet. Un noir froid et terrifiant, qui laissa rapidement place à quelques autres visions abominables. Mais à chaque tunnel, son bout, sa sortie, son rayon de lumière. C'était de nouveau reparti pour une marche en plein cagnard, puis... qui sait combien de temps cela dura-t-il avant qu'enfin son cortège l'arrête quelque part. Notre assoiffée retrouvera-t-elle connaissance ? Certainement. Quand ? Cela, nous verrons bien.

Une chose était sûre, elle n'était plus au pied de la falaise de calcaire.

- Jolie paire de... Kokokos. Mais vous s’riez pas un p’mieux habillé ?

« Heu... que... Vous, ici ? »

Régulus, tout déboussolé, attrapa les vêtements que la Mutsou lui tendit d'un bras fébrile, pour ne pas dire sur le point de trembloter.

« Merci... »

Un silence gênant se poursuivit.

En s'enfonçant dans les bois, l'instinct animal du disciple Pandawa prit place peu à peu. Il se met en position assez proche du sol, afin de pouvoir renifler l'odeur de la Mutsou qu'il connaissait bien : un mélange de relents de marrée mélangé à des poils mouillés. Il chercha des traces de pas dans la boue, des vêtements arrachés près des branches, le moindre petit indice.
Il tomba enfin sur une piste d'odeur à suivre. Il continua à la pister jusqu'à tomber sur des traces de pas. Ces traces n'étaient pas linéaires mais plutôt circulaires, courbées, ... Sans aucune logique. Comme si la Mutsou titubait à son tour. Il fallait la retrouver, et vite. Le poilu redoubla d'efforts pour accélérer le pas. La nature, il la connaissait bien : toute son enfance se résumait à la foret de Pandala. Il lui suffit alors de quelques minutes pour tomber enfin né à fesses avec un Ecaflip.

Il ne comprit pas très bien ce qu'il se passait, une Mutsou déboussolée en face d'un Ecaflip dans le plus simple appareil... "Mais... Mais... Mais c'est un viol !" Il devait la sauver le plus vite possible. Instinct de survie, il prit la première chose qui lui vint à la main : ses noix de Kokoko. Il les balança à une vitesse effarante en direction du crâne du Chaton situé devant lui. Les projectiles avaient beau venir de son dos, le félin réussit à esquiver aisément les 3 noix lancées à la suite. Malheureusement, ces trois amies allèrent se loger dans la tête de la Mutsou qui fut sonnée et tomba au sol.

Le panda regarda rapidement la Mutsou, l'Ecaflip, la géante, le poilu, les noix de Kokoko, l'homme à la feuille de Bambouto, son amie écroulée... Et il réalisa ce qu'il venait de faire. Il fallait bluffer maintenant, faire croire à son interlocuteur qu'il était en pleine possession de ses moyens. Il gonfla le torse et commença :

"Je te conseille de ne pas trop me chercher, je suis vraiment pas d'humeur. Tu vas m'expliquer aussi vite que possible ce que tu fais là et qu'est-ce que tu voulais à mon amie ? Et en passant... Pourquoi tu es nu ? Ca m'évitera quelques raisonnements saugrenus."

HRP:

Régulus, qui n'eut pas le temps de prendre la délicatesse de se rhabiller, vit fuser depuis son dos trois belles noix à toute vitesse, dont au moins une d'entre elle vint se loger dans la mine déconfite de la Mutsou. Laquelle s'écroula nette.

« Je te conseille de ne pas trop me chercher, je suis vraiment pas d'humeur. Tu vas m'expliquer aussi vite que possible ce que tu fais là et qu'est-ce que tu voulais à mon amie ? Et en passant... Pourquoi tu es nu ? Ca m'évitera quelques raisonnements saugrenus. »

Le quartier maître enfila rapidement les vêtements que la Mutsou lui avait tendu quelques secondes auparavant, puis il poursuivit.

« Alors moi... à la base, je venais me laver hein... puis votre amie là, que vous avez sauvagement attaquée, elle fouillait dans ma case, ou que sais-je... ensuite vous, vous arrivez comme ça là, et vous balancez trois noix sur la pauvrette. Avouez que j'ai droit à un moment d'émotion. »

Après avoir soufflé un peu, et le temps de rajuster nerveusement le col de sa chemise, le quartier-maître renchérit.

« Vous êtes Tsanas, c'est ça ? Pourquoi n'êtes-vous pas sur la plage avec les autres ? »

« Alors moi... à la base, je venais me laver hein... puis votre amie là, que vous avez sauvagement attaquée, elle fouillait dans ma case, ou que sais-je... ensuite vous, vous arrivez comme ça là, et vous balancez trois noix sur la pauvrette. Avouez que j'ai droit à un moment d'émotion. »

Le pandawa resta un peu dubitatif à ce discours. Tout ça n'a que trop de coïncidences et trop de belles réponses... C'est très étrange. La gorge du pandawa s'assécha peu à peu. Mais le chachat reprit :

« Vous êtes Tsanas, c'est ça ? Pourquoi n'êtes-vous pas sur la plage avec les autres ? »

Le jeune poilu eut un léger sursaut en entendant son nom mais essaya de le cacher au maximum. Les battements de son cœur commencèrent à s'intensifier.

"Hm comment connaissez-vous mon nom ? Nous ne nous sommes jamais rencontrés... Je me retrouve quelque peu en position défavorable, pouvez-vous m'indiquer votre nom à vous ? Et pour connaître l'existence "des autres", je pense que vous êtes sur le bateau. Quelle fonction occupez-vous ?"

A bien y réfléchir, tout ça était louche et pouvait donner des réponses pour notre petite épidémie mortuaire... Et si c'était lui le meurtrier ? Et si la Mutsou était dans le coup et qu'elle parlait de leur plan ? Peut-être même la vieille ? Ou le Iop qu'il n'avait même plus vu depuis longtemps ? Le disciple de l'alcool n'était vraiment plus à l'aise, il se sentait mal : un peu de transpiration coulait le long de son front. Trop de questions trottaient dans sa tête : Il fallait trouver des réponses ! Mais il fallait surtout rester fort et cacher au maximum son état.

HRP:

"Hm comment connaissez-vous mon nom ? Nous ne nous sommes jamais rencontrés... Je me retrouve quelque peu en position défavorable, pouvez-vous m'indiquer votre nom à vous ? Et pour connaître l'existence "des autres", je pense que vous êtes sur le bateau. Quelle fonction occupez-vous ?"

« En effet, nous n'avons pas eu l'honneur de nous parler auparavant, mais, voyez-vous, je suis Quartier-Maître à bord, Régulus, et ne pas connaître le nom des matelots ou des voyageurs à bord serait une faute professionnelle inexcusable. Ne soyez donc pas ainsi surpris. Vous n'avez pas répondu à ma question première, toutefois. »

« En effet, nous n'avons pas eu l'honneur de nous parler auparavant, mais, voyez-vous, je suis Quartier-Maître à bord, Régulus, et ne pas connaître le nom des matelots ou des voyageurs à bord serait une faute professionnelle inexcusable. Ne soyez donc pas ainsi surpris. Vous n'avez pas répondu à ma question première, toutefois. »

Régulus ... Régulus ... Le nom trottait dans son esprit. Il avait déjà entendu ce nom quelque part... Ces pupilles se dilatèrent, ses yeux s’écarquillèrent : il se souvenait. C'était lui qui avait donné cet étrange mot d'aller au Nord. Ce chemin qui s'avérait si dangereux maintenant. Fallait-il lui dire la vérité ? Son but était peut-être de les tuer ?

Il fallait prendre une décision, et vite. Autant jouer cartes sur table tout en restant sur ses gardes d'une éventuelle attaque.

"Je vous connais maintenant. Mes amis m'ont parlé de vous, c'est vous qui avez mis ce mot pour aller au Nord dans le sac de la vieille n'est-ce pas ? Dans ce cas, je peux vous répondre maintenant : nous n'avons fait que suivre vos indications. Mais le voyage ne se passe pas tout à fait comme prévu. Alors maintenant que nous ne sommes que nous deux : que doit-on trouver au Nord de cette île ?"

"Je vous connais maintenant. Mes amis m'ont parlé de vous, c'est vous qui avez mis ce mot pour aller au Nord dans le sac de la vieille n'est-ce pas ? Dans ce cas, je peux vous répondre maintenant : nous n'avons fait que suivre vos indications. Mais le voyage ne se passe pas tout à fait comme prévu. Alors maintenant que nous ne sommes que nous deux : que doit-on trouver au Nord de cette île ?"

Régulus mit un petit temps avant de répondre, pensif.

« Ainsi vous avez lu mon mot. Cela dit, si vous m'aviez pris au mot, vous vous seriez contentés de « Regarder au Nord ». Enfin, je suppose que cela n'a plus trop d'importance désormais. Je vois Ifreann, mais où est la vieille ? Si nous nous dépêchons, peut-être que... oui, on y sera à temps. »

« Ainsi vous avez lu mon mot. Cela dit, si vous m'aviez pris au mot, vous vous seriez contentés de « Regarder au Nord ». Enfin, je suppose que cela n'a plus trop d'importance désormais. Je vois Ifreann, mais où est la vieille ? Si nous nous dépêchons, peut-être que... oui, on y sera à temps. »

Maintenant qu'il le disait, il se sentait bête d'avoir braver tous ces dangers plutôt que d'avoir prit un point en hauteur pour simplement y jeter un œil.

"La vieille est à moitié endormie à 5 minutes au Nord-Est de cette position. On a deux évanouies sur les bras... Les conditions ne sont pas parfaites... En parlant de ça, puis-je vous demander vos hospitalité pour juste vous prendre un peu d'eau ?"

"La vieille est à moitié endormie à 5 minutes au Nord-Est de cette position. On a deux évanouies sur les bras... Les conditions ne sont pas parfaites... En parlant de ça, puis-je vous demander vos hospitalité pour juste vous prendre un peu d'eau ?"

Régulus semblait un peu troublé, réfléchissant fiévreusement à la situation.

« Oui oui, bien sûr, buvez. Écoutez, je n'ai pas le temps de vous en dire davantage, mais vous êtes en danger ici. Il faut que nous bougions tout de suite. Je pars devant, suivez-moi. Vous n'auriez pas dû venir. »

Le Quartier-Maître s'enfonça dans la jungle claire en direction du Nord. Laissant juste le temps à Tsanas de boire quelques gorgées s'il voulait pouvoir le rattraper.



Narhuitlalashishtom se réveille lentement. Peu à peu, elle prend conscience de son environnement : un mur circulaire de terre l'entoure. Une trappe laisse passer quelques fins rayons de soleil par ses interstices. Elle semble trop haute pour être atteinte par la petite disciple de l'Avaricieux. Il fait assez chaud, mais elle a le bonheur de trouver un bol d'eau, ainsi que quelques fruits dispersés sur le fond de sa cellule. Dehors, il ne semble pas y avoir beaucoup de bruit, principalement le son des feuilles se faisant balloter par la bise.

Elle se rend compte qu'aucun de ses effets n'est en fait à sa disposition. Ni sac, ni vêtements. Ses ravisseurs ne sont pas des sauvages non plus, puisqu'elle a hérité de quelques haillons qui devaient traîner là.

Les yeux fatigués de Narhuitlalashishtom s’adaptèrent à la pénombre ambiante. Juste assez pour détailler les lieux, pas suffisamment pour s’en faire une idée autre que vague.

Le regard de la vieillarde se posa d'abord sur le bol d’eau puis sur les fruits épars avant de revenir sur les murs de ce qui était devenu sa geôle.

« Faisons contre mauvaise fortune bon cœur… »

Haussant les épaules, le petit bout de femme s’empara du récipient et de quelques fruits. Elle n’arriverait à rien le ventre vide, autant prendre des forces avant de tenter quoi que ce soit. Et, si par malheur on en voulait à sa vie, alors ses mystérieux sauveteurs n'auraient pas pris la peine de la tirer hors du pétrin dans lequel elle s'était fourrée pour finalement l'empoisonner à l'ombre.
Forte de son pragmatisme, Narhuitlalashishtom s’hydrata à petites gorgées et prit bien soin de mâcher longuement chacune des portions fruitées qu’elle portait à sa bouche.

Revigorée, l’ancêtre au chignon défait prit appui sur ses cuisses et se releva lentement.

« Bien, voyons cela… »

Déambulant le long des parois de terre, elle passa ses petites mains fripées sur le matériau friable. Caressant quelque espoir, elle gratta la surface irrégulière du bout de l’index, en appréciant la résistance.

« Ôm’… Avec un outil approprié, passer au travers de cette enceinte serait un jeu d’enfant… Mais il y a de fortes chances qu’il s’agisse d’une fosse, plutôt que d’une hutte. »

Ramassant le bol qu’elle avait délaissé, elle l’ausculta sous toutes les coutures, en éprouvant la densité et en jetant de fréquents coups d’œil aux parois de ce qu’elle pensait être un puits.

« Mmh… Pas de quoi fouetter un Chacha, impossible de creuser quoi que ce soit avec cette camelote. Voilà une situation qui n'est pas sans me rappeler l'histoire d'un pauvre bougre emprisonné au fond d'un puits... »

Narhuitlalashishtom délaissa son pseudo-outil d’excavation, cette pelle futile, et reporta toute son attention sur cette trappe qui se trouvait entre elle et l’extérieur. Entre elle et sa mission. Entre elle et ses compagnons. Et, pire que tout, entre elle et son bagage.

L’adoratrice du Seigneur des Abîmes se racla la gorge et mit ses mains en porte-voix, dans l’espoir de se faire entendre de ce qu’elle appelait mentalement « le Dehors » :

« Ahem… Youhou ! Ici ! Héhooo ! Je suis réveillée ! Il y a quelqu’un ? Du monde dans le coin ? Par ici, les sauveteurs ! Un peu de compagniiiie ! Montrez-vous, voyons ! »

Ne lui répondirent que les échos de sa voix dans le conduit et le souffle du vent à travers les fentes de la trappe.

Dans un premier temps.
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HRP:

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HRP:

« Oui oui, bien sûr, buvez. Écoutez, je n'ai pas le temps de vous en dire davantage, mais vous êtes en danger ici. Il faut que nous bougions tout de suite. Je pars devant, suivez-moi. Vous n'auriez pas dû venir. »

Le jeune disciple pandawa n'avait pas le temps de réfléchir qu'il fallait déjà partir... Il ne se sentait pas à l'aise de laisser ses amies dans une mauvaise posture mais il reviendrait aussi rapidement que possible les reprendre... Elles sont coriaces, il avait confiance en elles.

Le rythme était soutenu, le poilu devait puiser dans ses ressources pour pouvoir suivre le deuxième poilu qui ouvrait la marche. Mais à chaque pas, l'adrénaline montait, curieux de découvrir quelque chose de nouveau.

"Où... Hmf... Allons-nous ?"

Après avoir poussé quelques appels bruyants à différents endroits de sa prison, Narhuitlalashishtom se dit qu'elle n'allait pas y tourner en rond ad vitam aeternam.

Si on ne lui répondait pas, il ne lui faudrait compter que sur elle-même et, dans la situation présente, cela impliquait d'atteindre l'unique issue de l'endroit et donc d'en escalader les parois terreuses, sans atermoyer.
Mais comment faire ?

Elle n'avait à sa disposition qu'un bol d'eau, pot de terre cuite ayant connu des jours meilleurs, et ses petits bras à la peau flasque.
Qu'à cela ne tienne, la septuagénaire opta pour la méthode d'évasion favorite de feu Djauh d'Altonne : l'excavation !

Narhuitlalashishtom entreprit de se tailler des marches dans les murs qui l'entouraient. Enfin, si l'on peut nommer "marches" les encoches qu'elle parvint à réaliser. Loin d'être disposées les uns au-dessus des autres, elles s'étalaient en une diagonale qui devint, petit à petit, une rampe en colimaçon, lui permettant de prendre appui ici et là en répartissant au mieux son propre poids.
Creuser. Tasser. Tester.
Le bol, de piètre qualité, s'ébréchait rapidement, mais cela n'entama pas la détermination de celle qui aspirait à devenir une fugitive.
Creuser. Tasser. Tester. Creuser. Tasser. Tester.
La vieillarde progressait vers cette trappe qui la surplombait, prenant bien soin de ne pas se précipiter et d'économiser ses forces.
Creuser. Tasser. Tester. Creuser. Tasser. Tester. Creuser...

Restait une question en suspens, à l'image de Narhuitlalashshtom au-dessus du vide : Parviendrait-elle à ouvrir la trappe de l'intérieur ?
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HRP:

"Où... Hmf... Allons-nous ?"

« Au Nord, nous allons au Nord. »

La marche se poursuivit énergiquement avant de s'arrêter sur une paroi de calcaire similaire à celle qui avait bloqué les aventuriers précédemment. Régulus ne chercha en rien à l'escalader, et inspectant rapidement les lieux, bifurqua vers l'Est en longeant le plateau. Après quelques minutes, une grotte se dessina dans la roche. Elle était assez large et on y voyait plutôt bien pour ne pas avoir besoin de torche. Elle remontait en pente douce vers le haut du plateau. À toutes les questions du jeune homme, le quartier-maître restait évasif.

Sur le plateau, où tout semblait bien dénudé comparée à la jungle luxuriante d'en bas, le vent balayait les hautes herbes.

« Baissez-vous. Faites attention, ne faites pas trop de bruit. »

Tsanas put remarquer le même fanion rouge qu'il avait aperçu depuis le bord du plateau où il avait pour la première fois émergé, sauf que cette fois-ci il était à l'Ouest.

En se dirigeant vers la forêt claire au pied de la montagne — qui consitait en réalité en une série de sommets escarpés emblables à des aiguilles —, on entendit quelques bruits de civilisation. Des voix, indistinctes, des pas sur le sol, des rires d'enfants et même quelques pleurs. Oui, il y avait du monde pas loin, c'était certain.

« Mettons-nous derrière ce rocher, et regardez attentivement. »

Tsanas, débordant de curiosité, de découvrir le tenant de tout ceci, se mit à plisser les yeux vers la forêt. Il put effectivement apercevoir un homme puis deux, puis une femme aussi, tous assez basanés. Mais, il n'eut pas le temps d'en voir davantage car d'un coup sa vue s'obscurcit, ou du moins il venait de fermer les yeux suite à un grand coup dans le bas du crâne.


Les tentatives de Narhuitlalashishtom n'étaient pas vaines, car son système lui permit, en une petite heure, d'être à moins d'une coudée de la trappe qui rongeait ses pensées. Mais elle n'eut pas le temps de creuser davantage le fond de la question, puisque cette dernière s'ouvrit brutalement. De son point d'observation, agrippée à la paroi terreuse, elle put voir deux jambes plutôt maigrichonnes et bien brunes. Leur propriétaire s'affola un instant dans un étrange langage, avant de remarquer la présence de la septuagénaire qui jouait aux acrobates. Il se mit alors à rire, puis déroula une échelle de fortune faite de lianes et de branches qui vint raser le fond du trou.

La petite vieille, bien qu'affaiblie par toutes ces pérégrinations, se sentit tout de même la force de la monter, barreau par barreau. En haut, la lumière lui piqua sévèrement la rétine. Mais ce type, bien que maigrichon, n'eut aucune délicate attention à son endroit, puisqu'il la traîna de force vers un endroit de plus en plus bruyant. Bientôt Narhuitlalashishtom entendit d'autres êtres près d'elle, des hommes, des femmes, des enfants. Peu à peu habituée à la luminosité, elle remarqua en effet qu'elle se tenait maintenant ligotée à une sorte d'attirail en bambou, au centre d'une sorte de village fait de cases sommaires. Les enfants étaient tous attroupés autour d'elle, et trouvaient en son léger embonpoint beaucoup de curiosité, ils lui tâtaient ainsi le ventre avec de petits bâton en riant, comme s'ils venaient d'attraper leur premier poisson.

Elle eut la surprise de constater que son voisin de gauche était lui aussi saucissonné sur quelques tiges en bambou, qu'au vu de sa pilosité abondante, il devait s'agir de Tsanas, et qu'il était dans les vapes.


Après son réveil, Ifreann mit quelques temps à bien se réorienter. Ses recherches effrénées ne furent pas vaines non plus. Elle tomba rapidement sur un nécessaire à écrire qui n'avait pas été rangé, sur une petite table arrangée derrière une des cabanes. La plume était encore dans l'encrier, et un petit carnet trônait sur le meuble étroit. Naturellement, elle se mit à le parcourir.

« Pour ce voyage, une plus probablement trois. Le compte ne sera pas encore bon. Celle de ce matin n'est plus bonne, il s'agit probablement de leur propre fait, mais je me demande pourquoi ils ne l'ont pas prise. Il nous font vraiment faire des horreurs... et ils se permettent d'en gâcher une... »

Une ? Mais de quoi pouvait-il bien s'agir... Elle revenait sans cesse tout au long du carnet (qui ne comptait pas tant de pages que cela).

Avant, ou après qu'Ifreann puisse avoir une idée, elle put repérer les traces de Régulus et Tsanas. Si elle le voulait, elle pourrait les suivre à la trace. Mais jusqu'où ? Et peut-être avait-elle encore d'autres choses à chercher ici, en fonction de sa théorie ? Tout ceci était entre ses pattes.

Ifreann n'arrivait pas à discerner quelconque trace de Régulus dans ce qui semblait être un village indigène de l'île du Kanigrou. Le temps passa très vite pour elle, sous le coup de la surprise et de l'observation. Un quart d'heure, ou peut-être une demie heure plus tard, alors qu'elle était toujours dissimulée, une odeur pestilentielle — quoique encore lointaine selon ses naseaux — se fit sentir. Le vent venait du Sud, ainsi il ne pouvait pas s'agir du village, mais de quelque chose qui se trouverait derrière elle.

À force de concentration, grâce à son don naturel, et sa mémoire olfactive, Ifreann reconnut l'odeur d'un cadavre en décomposition mêlée à celle des infâmes cuisines de Bétel Jeuse. Un cocktail pour le moins assommant. Rapidement après, elle aperçut au loin une silhouette se glisser dans les herbes hautes. Il était temps d'agir, mais que faire ? Si la silhouette se mettait à crier, elle pouvait être certaine que les gens du villages l'entendraient.

Actuellement derrière des rochers — les mêmes que ceux où Tsanas s'est précédemment fait assommé — la seule autre option à sa portée était la forêt claire vers l'Est si elle voulait continuer à conserver un camouflage complet.

C'était peut-être le moment d'agir, peut-être pas.

Ficelée, ligotée, liée à ce qui avait tout l'air d'un dispositif aux consonances ô combien funestes, la petite Narhuitlalashishtom subissait, sans pouvoir y faire grand-chose, les palpations et autres accès de curiosité de ses hôtes du moment. Entravée comme elle l'était, c'est tout juste si elle pouvait remuer les bras et agiter le bout de ses petons, pataude.
Tant bien que mal, elle tâchait de ne pas glousser sous les chatouilles des plus petits et les regards appréciateurs des autres. Cela faisait belle lurette que ses formes n'avaient plus suscité autant de réactions et, dans un tel contexte, elle était loin d'être certaine qu'il s'agisse d'une bonne chose.

Combien de récits de festins anthropophages avait-elle entendus ? Combien d'histoires de marins dévorés par des tribus de Kannibouls lui avait-il été donné de lire ? Bien trop à son goût.
Et Tsanas qui ne se réveillait pas... Ah, vous parlez d'une équipe !

La vieillarde avait beau héler le Poch'Tronc, celui-ci se contentait de baver sur son torse velu, rêveur.

« Vous savez, commença-t-elle en s'adressant à tout le monde et personne à la fois... »

On s'attroupait autour des deux prises du jour. Les enfants couraient autour des structures de bambou, entre les adultes et aux alentours tandis que les plus grands, les moins jeunes ou les plus vieux s'affairaient à quelques obscurs préparatifs en vue d'une énigmatique cérémonie.

« Je n'ai pas pour habitude de m'insurger devant le sort qui est le mien. Généralement, je le mérite ou, du moins, j'en connais le pourquoi du comment. »

Narhuitlalashishtom levait les yeux au ciel, elle venait de se rappeler une histoire supplémentaire, entendue dans les montagnes alors qu'elle était encore jeune. Le regard dans le vague, l'ancienne continua son intervention, souriante.

« Ce qui implique que je puisse relativiser... Cependant, dans ce cas précis, dans la situation présente... Je ne peux m'empêcher de songer à ce qui s'est dit... A ce qui s'est écrit au sujet des peuplades qu'on qualifie de « sauvages »... Et notamment de leurs coutumes alimentaires. »

On resserra ses liens, elle fit la moue et ironisa.

« Manifestement, avec la grandeur d'esprit qui est la leur, la plupart des explorateurs vous auraient d'office rangés dans pareille catégorie. Rendez-vous compte ! Emprisonner des étrangers avant de les ficeler sur la place publique sans même avoir pris le temps de les connaître ! Voilà des coutumes des plus inhabituelles qu'on serait bien incapable de retrouver sur le Vieux Continent et que l'on s'empresserait de qualifier de « barbares ». »

Plissant les yeux, fronçant ses fins sourcils grisonnants, la fervente d'Enutrof poursuivait son exposé à Qui-Voudrait-Bien-Ecouter.

« Or je trouve, pour revenir à mon propos, qu'il n'y a rien de barbare et de sauvage en cette nation qui est la vôtre, à ce que j'en ai pu voir... Sinon que chacun a tôt fait d'appeler « barbarie » ce qui lui est étranger, comme de juste. Il semble, hélas, que nous n'ayons d'autre vision de la vérité, de la raison et de Ce-Qui-Doit-Être qu'en fonction des exemples, des idées reçues... On la picotait du bout de ce qui ressemblait à s'y méprendre à des brochettes. Non, pas aussi fort, s'il vous plaît. Voilà, moins fort, merci... des idées et des opinions ainsi que des coutumes du pays dont nous sommes issus. Pointues, vos baguettes, dites donc. »

Narhuitlalashishtom reportait désormais son attention sur les environs de la place, guettant un signe qui lui permettrait de s'estimer en passe d'éviter de devenir le plat de résistance, si tel était la destinée qu'on lui réservait. Et, si les secours devaient arriver, il fallait leur offrir une diversion.

Le petit bout de saucisson à deux doigts de la péremption, rejeta sa tête au chignon défait en arrière et émit un rire de gorge aussi sonore qu'inattendu. Ce qui eut pour effet de lui attirer l'attention de la majorité des îliens présents sur la place. Poussant son avantage et constatant que Tsanas commençait à remuer à côté d'elle, elle reprit d'une voix forte en fixant, tour à tour, chacun des membres de l'assemblée dans les yeux.

« C'est ce que l'on considère, en fin de compte, comme la parfaite religion, l'irrévocable et accompli usage en vigueur dans les campagnes ! Vous êtes sauvages, c'est un fait ! »

Le gigot sur lit de bambou poursuivit, pénétrante :

« Vous êtes sauvages, à la manière de ces fruits que nous estimons sauvages car issus d'un bienfait du Danseur Aux Semelles de Vent : la Nature, et uniquement par elle,  selon un rythme qui lui est propre. Ce sont les fruits que nous avons altérés par nos artifices et détournés du véritable ordre des choses que nous devrions plutôt appeler « sauvages » ! Dans les premiers, les véritables et plus utiles vertus naturelles sont vivaces et vigoureuses tandis que, chez les seconds, nous les avons abâtardies en les accommodant seulement à notre bon-vouloir et à nos goûts corrompus... »

L'attention de son public faiblissait, aussi l'oratrice décida-t-elle de mettre le paquet, espérant ainsi réveiller son acolyte et, les Douze seuls le savaient, indiquer le chemin à d'hypothétiques renforts.

« Et si pourtant la saveur même et la délicatesse se trouvent être ce que nous recherchons par dessus-tout, à l'image du commun des mortels, on ne les trouve que dans des contrées comme la vôtre, sans « culture ». Et par « culture », il faut comprendre « culture du vice » ! »

Un dernier effort, il fallait tenir, coûte que coûte.

« Il est hors de question que l'art de la transformation, de la modification et du sacrilège prenne le pas sur la grande et puissante Mère Nature ! Nous avons tellement changé la beauté et la richesse de Ses ouvrages avec nos interventions que nous L'avons étouffée ! Si, partout où Sa pureté reluit comme c'est le cas ici, elle fait merveilleusement honte à nos vaines et pathétiques entreprises, alors faut-il véritablement condamner... »

Les geôliers ne goûtaient plus aux envolées philosophiques de Narhuitlalashishtom et le lui firent savoir du regard, avant de s'approcher d'elle, l'air menaçant et semblant lui dire que ça suffisait les bêtises et qu'il faudrait voir à ne pas trop s'énerver pour ne pas gâter la viande.

« ...la gastronomie Kanniboul ? »
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HRP: